La voix du combattant

Rwanda, pour l'honneur des soldats français


Le 26 mars dernier, l'historien Vincent Duclert a remis un rapport intitulé "La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi (1990-1994)" au président de la république. Un rapport qui a suscité de nombreuses réactions, parmi lesquelles celle du général (2S) Dominique Delort. A l'époque, le colonel Delort est conseiller Afrique du chef d'état-major des Armées. Pendant les mois précédant le déclenchement du génocide, il a été au coeur de l'action diplomatique et militaire de la France. Il livre son témoignage dans un livre passionnant, "Guerre au Rwanda, l'espoir brisé", paru en librairie trois semaines avant la remise du rapport Duclert à Emmanuel Macron. Entretien. "

La voix du combattant :
Mon général, quelles sont les raisons qui vous ont poussé à prendre la plume pour témoigner sur l'action de la France dans la guerre civile au Rwanda ?

Dominique Delort :
Plusieurs raisons m'ont décidé à écrire ce livre. Il y a eu bien sûr les accusations infâmes portées contre les soldats français, dont on disait qu'ils avaient armé et formé les génocidaires. Au début des années 2000, la justice rwandaise a établi une liste de 22 français soupçonnés de responsabilités dans ce génocide, et je figure moi-même sur cette liste ! Lors de leurs études supérieures, certains de mes petits-enfants ont découvert mon nom sur cette liste, et m'ont posé des questions... Enfin, personne ne semble s'intéresser à la période qui précède le génocide, aux efforts faits par la France pour parvenir aux accords d'Arusha. Conseiller Afrique du chef d'état-major des Armées pendant cette période, j'assistais à la fois aux réunions de crise au ministère des Affaires étrangères, aux négociations politiques à Kigali et à la reconnaissance des forces en présence sur le terrain.

LA VCD :
Votre ouvrage est extrèmement intéressant car il présente justement l'action diplomatique et militaire de la France dans les mois qui ont précédé le génocide. Or peu d'ouvrages ou d'articles de presse se sont intéressés à cette période. Qu'est-ce qui explique votre parti-pris de revenir aux origines du drame ?

D.D. :
C'est justement ce constat que les commentateurs ne donnaient jamais d'explications de contexte. A l'époque, la position de la France, en matière de politique extérieure, est celle du président de la République. Dans son discours de La Baule, François Mitterrand conditionne le soutien de la France aux efforts faits par les Etats en termes de démocratisation et de respect des droits de l'homme. Dans cette perspective, d'ailleurs, les efforts français ne sont pas vains. Le multipartisme existe au Rwanda, des négociations sont entreprises, le 1er ministre est même un homme de l'opposition. De plus, sur le plan international, le Rwanda n'est pas la préoccupation première de l'ONU, qui a déjà fort à faire avec la guerre dans les Balkans, la Somalie et le Cambodge. C'est en partie ce qui explique que la force onusienne pour le maintien de la paix au Rwanda, quand elle a enfin été mise en place, est largement sous-dimensionnée, à la fois dans le casting des chefs, dans le volume des forces, et dans les moyens donnés aux forces. De plus, les USA étaient également très bien informés, et ils avaient des leviers bien plus puissants que les nôtres. Dans cette montée des périls, leur attitude a été très contestable. Tout ce contexte, j'en ai été imprégné, puisque ma mission me plaçait au confluent des ministères de la Défense et des Affaires étrangères. J'avais, moi, cette vision politico-militaire et cette connaissance transverse de la situation.

LA VCD :
A la lecture de votre livre, on est surpris par sa densité documentaire et la précision de vos souvenirs. Quelles ont été vos sources ?

D.D. :
Mes sources principales ont été mes carnets de notes de l'époque. C'est un fait culturel chez moi ! Mon père a ramené du front ses carnets de notes de la Première Guerre mondiale. Lorsque je suis parti comme capitaine au Liban, il était en train d'écrire ses mémoires et il m'a dit :"Pense à prendre des notes." Je l'ai fait au Liban, j'en ai d'ailleurs tiré mon premier livre, "L'escadron bleu", paru en 2018. Je l'ai fait à nouveau pendant mes missions rwandaises. Ayant tout écrit et tout conservé, j'ai pu être d'une extrème précision lors de la rédaction du livre.

LA VCD :
Quelle est votre appréciation sur le rapport Duclert rendu au président de la république quelques semaines après la parution de votre ouvrage ?

D.D. :
Le rapport Duclert est remarquable et remarqué. Il est le résultat d'un travail très sérieux de la commission, que je ne mets pas en doute. Il établit clairement la responsabilité du président de la république française dans la politique menée au Rwanda. Il établit tout aussi clairement que le président n'a pas donné ou fait donner d'ordres illégaux aux forces armées, et que les soldats français n'ont pas mené d'actions illégales ou contraires à l'honneur. Le rapport Duclert souligne que l'objectif de la politique menée, dans le droit fil du discours de La Baule, était de faciliter les négociations entre les parties pour une sortie de crise. Néanmoins, je n'ai pas trouvé dans ce rapport la position des USA dans la tentative des gestion de crise. Peut-on examiner la position de la France sans aucun regard sur celle des autres pays liés indirectement à la crise ? Pour moi la réponse est non. Je me permets d'encourager les historiens à poursuivre leurs travaux pour répondre à des questions majeures : Pourquoi l'ONU a-t-elle échoué totalement ? Pourquoi les USA et l'Ouganda ne sont-ils pas intervenus au nom du droit d'ingérence dès le mois d'avril, ou même mai, quand les massacres tournaient manifestement au génocide ? "La recherche établit donc un ensemble de responsabilités, lourdes et accablantes" conclut le rapport Duclert. La meilleure analyse des seuls textes français, sans contexte international, peut-elle fonder un jugement historique aussi grave ? Je ne le crois pas.
Propos recueillis par Béatrice Gendron

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La voix du combattant

RWANDA - QUELQUES REPERES


*Depuis 1990, les troupes françaises sont présentes au Rwanda afin d'apporter une coopération militaire au régime en place.

*Une offensive du Front patriotique rwandais (FPR), essentiellement constitué de Tutsi réfugiés en Ouganda, en direction de Kigali, conduit à l'opération française Noroît, le 4 octobre 1990, afin de protéger les ressortissants français et européens. Les accords d'Arusha sont signés le 4 août 1993, permettant un partage du pouvoir entre Hutu et Tutsi. Cette conciliation tourne court malgré la création en octobre 1993 d'une opération de maintien de la paix de l'ONU intitulée Mission des Nations-Unies pour l'assistance au Rwanda (Minuar).

*Le 6 avril 1994, la disparition du président rwandais Habyarimana, victime d'un attentat, relance la guerre civile.

*L'opération Amaryllis conduite par l'armée française est déclenchée le 8 avril 1994 afin d'évacuer les ressortissants français et étrangers, avec le concours de l'armée belge. L'intervention se cantonne à la ville de Kigali et à ses alentours et se déroule tandis que la guerre civile s'intensifie et que les massacres s'accentuent, aboutissant au génocide des Tutsi d'avril à juillet 1994 lors duquel environ un million de personnes sont exterminées.

*La résolution 929 du Conseil de sécurité déposée par la France auprès de l'ONU, autorisant une intervention armée à but humanitaire, est votée. L'opération Turquoise, organisée par la France, débute le 22 juin 1994 et se termine le 21 août 1994. Elle engage plus de 2500 militaires français qui ont pour mission d'identifier les populations civiles menacées en territoire rwandais, de les protéger, de les soigner et de les mettre en sûreté dans une zone humanitaire sûre (ZHS) entre Kibuye, Gikongoro et Cyangugu.

*Le 16 juillet, les troupes rebelles atteignent Gisenyi, ville frontalière de Goma, repoussant ainsi un million de réfugiés. Si, en ZHS, le dispositif français permet de parer au plus pressé et d'assurer la survie des 2 millions d'habitants de la zone et des 2,5 millions de réfugiés, à Goma, en revanche, aucune structure n'est capable d'accueillir ce flux massif. Au bout de quelques jours, l'épidémie de choléra se propage et les morts jonchent la ville (50 000 morts). La situation sanitaire se dégrade. Malgré les faibles ressources humaines présentes, le général Lafourcade mobilise tous les moyens disponibles pour faire face à ce drame : soins, déploiement des équipes de la Bioforce, distribution de nourriture, enfouissement des corps. La situation se stabilise. Le mandat des troupes françaises se terminant, la passation de pouvoirs s'effectue avec la Minuar II.

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